La réforme des retraites en France : ultime sacrifice des travailleurs ou réelle nécessité d’État?

Avec plus de 25 millions de manifestants rassemblés au cours des douze journées de mobilisations nationales selon la CGT, la réforme des retraites est depuis quelques mois au cœur de la scène politique française. La réforme des retraites, déjà abandonnée lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, a repris le devant de la scène dans ce deuxième mandat, et a engendré un fort mouvement de protestations en France. 

En effet, le système des retraites et la nécessité de réformer ce dernier sont devenues des questions majeures à l’intérieur des démocraties européennes. Depuis la réforme Fornero de 2011 – qui a déplacé l’âge de départ à la retraite en Italie de 60 à 67 ans – maints gouvernements ont essayé de modifier le fonctionnement du système sans y parvenir ou même y succomber quelques fois. 

Mais pourquoi s’attaque-t-on aux retraites? 

En raison de leur poids sur les finances publiques. Les retraites ont un poids considérable sur l’état des finances publiques – en 2020 ​​le budget consacré aux pensions de retraite représentait 40,8% des prestations sociales et 14,4% du PIB – et elles limitent et façonnent les politiques mises en place par le gouvernement. La volonté de l’exécutif de proposer un nouveau plan d’investissement pour stimuler la croissance, tout en maintenant la trajectoire définie pour l’assainissement des finances publiques, ne semble pouvoir passer que par une réforme du système des retraites. En effet l’argument soutenu par l’exécutif est que la diminution du nombre de salariés, suivi par l’augmentation du nombre de retraités et par l’allongement de l’espérance de vie, condamne les régimes de retraite à être dans le rouge. En outre, les strictes exigences fixées par l’Union Européenne quant aux déficits budgétaires forcent les États membres à définir des politiques de redressement des finances publiques. Selon l’exécutif, il y a « urgence » à redresser un régime qui pourrait afficher une vingtaine de milliards d’euros de déficit en 2030. Comme l’a affirmé la Première ministre Elisabeth Borne, laisser que le déficit s’accumule « serait irresponsable ». Grâce à cette nouvelle réforme les comptes de la sécurité sociale, estimés à être en déficit de 8,2 milliards d’euros en 2023,  devraient retrouver un état  « d’équilibre » en 2030. Tel est en substance l’argument couramment mis en avant pour justifier une réforme des retraites.

Mais concrètement que modifie la réforme proposée?

Le projet, qui était initialement censé allonger l’âge minimum de départ à la retraite de 62 à 65 ans en 2031, comme l’avait annoncé le chef de l’Etat pendant la campagne présidentielle, à finalement déplacé de deux ans l’âge de départ à la retraite. Pour obtenir une pension « à taux plein », c’est-à-dire sans décote, l’âge légal de départ à la retraite ne sera désormais plus de 62 ans mais il sera repoussé progressivement jusqu’à arriver à 64 ans en 2030. De plus, le nombre de cotisations – c’est-à-dire la somme prélevée sur le salaire brut afin de financer les retraites – requises pour pouvoir partir à la retraite passera de 42 à 43 ans. Il faudra donc travailler plus longtemps et cotiser plus pour pouvoir partir à la retraite.

Que reprochent les opposants de cette réforme au gouvernement?

La volonté de l’exécutif de vouloir toucher à un sujet si sensible à suscité la révolte des huit principaux syndicats qui, pour la première fois depuis douze ans, ont décidé de se mobiliser ensemble contre une réforme « injuste et brutale ». Dès le projet dévoilé, ils ont lancé le 19 janvier une série de journées de grèves et de manifestations qui ont bouleversé le pays dans un état de fortes contestations populaires. Si d’une part l’allongement de l’espérance de vie est une cause logique du besoin de cette réforme, maintes critiques ont été formulées contre une réforme qui, selon les syndicats, pénalise les personnes ayant des emplois pénibles et les femmes. L’argument soutenu est que les personnes ayant des emplois pénibles auront plus de mal à travailler plus longtemps de par la nature exténuante de leur métier et que ces derniers ont également tendance à avoir des revenus plus faibles, ce qui est corrélé à une espérance de vie plus faible. Les opposants à la réforme affirment aussi que les femmes seront touchées de manière disproportionnée car bon nombre d’entre elles interrompent leur carrière pour avoir des enfants. Ces interruptions sont souvent suivies d’un travail à temps partiel, ce qui signifie qu’il faudra plus de temps aux femmes pour atteindre le nombre requis de cotisations de retraite. Il a été également proposé d’augmenter les impôts pour les grandes entreprises mais, comme je le mentionnais précédemment, ceci s’opposerait à la volonté de stimuler la croissance économique de la part de l’exécutif. Ce qui a également contribué à soulever des fortes manifestations a été l’itinéraire législatif qu’a suivi cette réforme. En effet, la réforme a été présentée au Parlement en février et mars via un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale, un véhicule législatif souple qui lui a permis de limiter les débats dans le temps. De plus, alors que le Sénat, après d’intenses tractations, avait confirmé son vote favorable le 16 mars, le gouvernement, n’étant pas certain d’avoir une majorité à l’Assemblée, Emmanuel Macron s’est résolu à dégainer l’article 49.3 de la Constitution qui permet une adoption sans vote. Le déclenchement du 49.3, arme constitutionnelle extrêmement impopulaire et souvent perçue comme un « déni de démocratie » – tel l’avait défini François Hollande en 2006 pour dénoncer son utilisation par le Premier ministre Dominique de Villepin – a contribué à durcir le mouvement social contre la réforme et a poussé la Première ministre, la gauche et l’extrême droite à saisir le conseil constitutionnel. Le vendredi 14 avril, le Conseil constitutionnel a finalement validé l’essentiel de la réforme des retraites même si de fortes critiques restent quant à la constitutionnalité de l’itinéraire législatif et surtout sur la façon dont la réforme a été débattue au parlement. Comme l’a écrit Dominique Rousseau dans sa tribune parue dans le Monde, la décision du Conseil Constitutionnel « s’impose mais, parce qu’elle est mal fondée et mal motivée en droit, elle ne peut pas clore le contentieux. ». Le constitutionnaliste fait part de sa surprise étant donné que, même si le conseil a reconnu que des ministres ont délivré des « estimations erronées » lors des débats parlementaires, que plusieurs procédures ont été utilisées « cumulativement » pour accélérer l’adoption de la loi et que l’utilisation combinée des procédures mises en œuvre a un « caractère inhabituel », il a procédé tout de même à ne rejeter que seules sept mesures mineures en allant ainsi à l’encontre du principe de « clarté et de sincérité des débats parlementaires »

A quel âge part-on en retraite dans les pays européens?

Pour mieux mieux comprendre et contextualiser la situation française, il serait intéressant de la confronter avec d’autres pays européens. En effet, si cette réforme semble dramatique aux yeux des français, dans de nombreux autres pays européens la situation est bien pire qu’en France pour les travailleurs. En Italie par exemple, comme en Allemagne, on bénéficie d’une retraite complète à 67 ans. Aux Pays-Bas et au Portugal, l’âge de la retraite est de 66 ans. 65 ans en Espagne avec au moins, 37 ans de cotisation. Idem en Suède, Belgique, Autriche et Croatie. 

Ne serait-ce donc cette réforme nécessaire si tant d’autres démocratie européennes l’ont mise en place et comme nous avons déjà observé, l’espérance de vie s’allonge de plus en plus? Comme le soutenait Descartes, la vérité n’est pas democratique, la thèse qui sera soutenue par 

le plus grand nombre de personnes ne sera pas forcément vrai. Si de nombreux pays ont déplacé leur âge légal pour pouvoir partir à la retraite, ce ne veut pas dire que ce sera la mesure la plus juste. Néanmoins, sans une réforme tempestive les caisses de l’État se seraient retrouvées dans le rouge et cette réforme va, en partie, améliorer la situation.

Massenzio Marè

RÉFÉRENCES :

  1. https://www.cgt.fr/
  2. https://www.vie-publique.fr/fiches/37945-quel-est-le-budget-consacre-aux-retraites
  3. https://www.vie-publique.fr/loi/287916-loi-reforme-des-retraites-2023-plfss-rectificatif
  4. https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/04/16/reforme-des-retraites-la-decision-du-conseil-constitutionnel-s-impose-mais-parce-qu-elle-est-mal-fondee-et-mal-motivee-en-droit-elle-ne-peut-pas-clore-le-contentieux-des-retraites_6169709_3232.html

Retour en haut