Le Père de Srđan Golubović : cinéma & concrétude

Antoine Skála critique ici le film Le Père (serbe : Oтац, romanisé : Otac) de Srđan Golubović et propose quelques conclusions esthétiques (politiques) à même de renforcer par les mots la nouvelle fissure dans la superstructure du septième art à la juste mesure de l’ébullition de notre temps.

Devant une foule d’étudiants japonais en 1966, Jean-Paul Sartre déclarait que, dans l’époque actuelle, l’intellectuel ne peut envisager et décrire le monde qu’en adoptant le point de vue des dominés par la mise au diapason de son œuvre aux luttes en train de se faire dans le monde entier (1). De Parasites à Jawan en passant par le Portrait de la jeune fille en feu et Sabotage, l’irruption récente dans les salles obscures de récits centrés sur l’expérience de personnages dominés mais persistants dans leurs aspirations et luttes concrètes traduisent la progression inédite d’une nouvelle fissure dans la superstructure du septième art à la juste mesure de l’ébullition de notre temps. Salué par la critique à sa sortie en 2020, récompensé au 70e Festival international du film de Berlin ainsi qu’aux 35e Golden Rooster Awards à Xiamen, le film serbe Le Père (serbe : Oтац, romanisé : Otac) de Srđan Golubović était rediffusé sur la chaîne et le site d’Arte de février à mars 2024, permettant ainsi à l’intelligentsia ouest-européenne de découvrir ce film aussi exceptionnel que subversif dont il s’agirait de tirer quelques conclusions esthétiques (politiques) à même de soutenir par les mots l’effort de clarification on ne peut plus directement engagé par une certaine tendance du cinéma international.

Conditions réelles contre l’individualisation

Devant les grilles et les ondulations du toit d’une usine imposante, une femme emmène ses enfants par le bras dans un travelling muet mais haletant. L’instant d’après, la femme est stoppée à l’entrée du chantier de l’entreprise qui refuse de payer les salaires qu’elle doit à son mari. La femme menace de s’immoler avec les enfants qu’elle ne peut plus nourrir. Les secours interviennent. La mère est internée en hôpital psychiatrique. Les services sociaux reprennent les enfants et les confient à une famille d’accueil. On justifie la décision auprès du père en raison de l’état psychiatrique de sa femme et du manque d’investissement (supposé) des parents dans l’éducation de leurs enfants. Le père invoque des conditions matérielles d’existence des plus difficiles : il n’a toujours pas été payé. Par conséquent, difficile d’avoir accès à l’électricité, l’eau chaude ou même un ordinateur comme exigé. Mais la décision est prise et il ne peut la contester. Il apprendra plus tard (seulement aux alentours de 25min de film, comme pour signifier l’importance de la déviance au sein de l’État sans se priver d’accuser politiquement la fonction normale de l’État contemporain) l’existence d’un réseau de corruption interne aux services sociaux : le responsable local recevant des pots-de-vin en l’échange de placements intéressés d’enfants. Le père compte riposter et munis d’une couverture, une bouteille d’eau, une miche de pain et un morceau de bacon dans son sac à dos, il commence un voyage de cinq jours en direction de Belgrade pour porter en personne une réclamation au ministre.

Dans une des plus remarquables phase d’exposition qui soit, Le Père voit ses séquences, dialogues et silences articulés pour ne servir la diffusion que d’un seul mot d’ordre radical : tout est politique. Dans Le Père, la prouesse de Srđan Golubović aura été de ne représenter l’existence qu’à partir de l’expérience et le regard des personnes qui subissent la lutte des classes de plein fouet, ressentent quotidiennement l’omniprésence dégradante de la politique : « Celui qui appartient à la classe ouvrière a conscience que la politique est un enjeu de vie ou de mort » dit Édouard Louis. Dans la représentation d’un dialogue de sourd entre prolétaire et bureaucratie, Le Père accuse la rhétorique d’individualisation des causes de conditions matérielles d’existence générées par une politique de classe devenue innommable en vue de fluidifier les rapports sociaux à la « There is no such a thing as society » et autres balivernes sur l’impossibilité de toute alternative au capitalisme mondialisé. Le Père s’engage dans la représentation de la politique de pacification (démocratique) à coup de dialogue social, primes et horaires individualisés et puis, bon, tant pis si on a enlevé injustement ses gosses au prolo paumé dans sa province, parce qu’au fond, c’est lui qui l’aura voulu… Srđan Golubović présente Le Père en ces termes au micro canadien de Mystic & Severe Radio (2) : « Le film est beaucoup plus concentré sur la société serbe et les problèmes de la société serbe mais je pense que les problèmes d’hommes ordinaires dans le monde sont similaires. Pas partout les mêmes, mais similaires. Je pense que dans le monde d’aujourd’hui, le capitalisme néolibéral fait que si tu perds ton travail tu perds aussi ta dignité et alors tu perds absolument tout, et même si en Serbie c’est plus dur que dans d’autres pays, je pense que les sujets et les histoires sur des hommes ordinaires est quelque chose de très important. C’est comme Parasite mais aussi Joker, ce genre d’histoires, et je pense que c’est le problème des temps présents. J’ai toujours essayé dans tous mes films de faire quelque chose de très basé sur la vie dans mon pays et la société pour faire quelque chose d’universel que tout le monde puisse comprendre. » 

Reconnu comme le maître européen des films antinarratifs dans un tout autre registre, Michelangelo Antonioni, enfermé dans son rôle vague de « cinéaste de l’incommunicabilité », n’aura pas su aussi brillamment que Le Père de Srđan Golubović utiliser les silences et distances entre ses personnages pour incarner à l’écran la concrétude des forces qui régissent leurs existences. Le voyage effectué par le protagoniste est profondément politique, quasi-sociologique, au travers de la rencontre d’individualités, paysages et non-humains rencontrés sur son chemin, poussant toujours le spectateur à situer une trajectoire singulière dans la condition d’une classe et la politique d’un pays (d’un continent ?). Parce que là où beaucoup de films qui entendent montrer ou évoquent la réalité de rapports sociaux tombent aisément dans l’écueil de la représentation d’altérités s’adressant au protagoniste en vue de répercutions narratives (au fond, tout gravite autour d’un fil narratif déterminant sur lequel ne fait que passer le protagoniste avec ses auxiliaires) Le Père se distingue nettement en ce que c’est précisément le protagoniste qui, sans le vouloir d’abord, recourt à l’observation pour comprendre, étendre son champ de perception, devenant ainsi témoin pour nous prendre à témoins de la réalité d’une condition. En fait, trame et arcs narratifs ne sont pas ici déterminants mais déterminés en vue de considérer par un procédé de désindividualisation la situation concrète de la Serbie contemporaine.

Nous, prolétaires serbes

Au terme de son périple harassant, le protagoniste comprend que tous les voisins qui ont pillé sa maison en son absence auraient préféré le savoir mort plutôt que de le voir revenir. Jamais le père, ses enfants ou les prolétaires qui l’entourent ne sont représentés par le film comme de strictes victimes. Concrètement, leurs individualités ne sont que le produit de leur condition (actuelle, future ou menacée) de pièces interchangeables dans un certain mode de production. Une condition opprimée à partir de laquelle ces individualités ne peuvent qu’évoluer dans une direction ou une autre, au gré d’un agencement de circonstances qui les dépassent de loin. La clarté de ce parti pris à même de justifier une fin des plus déconcertantes et non-conventionnelles, marquée d’un point d’interrogation au carrefour de possibilités qui révèle le profond rejet esthétique et donc politique par Le Père de la tendance dominante à l’idéalisation « des pauvres dans la pauvreté ». Ceci au sens où, à partir d’une position contestataire & consensuelle dans une industrie, l’on prétend d’autant plus défendre l’intérêt d’une classe en soi en l’investissant de valeurs morales qu’on ne fait en fait que reproduire la victimisation bourgeoise des classes subalternes dans leur négation comme subjectivité politique (pour rester sagement une classe en soi) par la plus nette mystification sur le fait qu’il puisse vraiment sortir quoique ce soit de vertueux d’une condition caractérisée par l’oppression capitaliste. Cette vision, vivement critiquée par Slavoj Žižek (3) et héritée d’une tradition chrétienne, libérale ou même du réalisme socialiste, empêche de comprendre politiquement la concrétude de la violence vécue par les classes dominées comme du fait que les apparats de la morale, dont l’idéologie dominante se drape mais dont encore beaucoup de nos présupposés politiques sont faits, n’ont véritablement que peu à voir avec la réalité de la condition de personnes contraintes d’agir dans la nécessité de manger, boire, se loger, se vêtir. Parce que Le Père n’aborde pas la réalité sous le prisme de la liberté, l’humanité ou encore moins pour rappeler d’« Use your vote. You have the power to change your future in Europe » mais reste définitivement fidèle à son mot d’ordre radical, de ses premières secondes à son ensemble, pour ne représenter la réalité que de manière à révéler la concrétude des forces agissantes au-delà de la sensibilité et sur lesquelles le protagoniste est amené à agir par lui-même, à partir d’un discours singulier aux implications nécessairement plurielles, résonnant avec les mots justes disant que l’on cesse d’être pauvre dès que l’on commence à s’organiser (4).

Moi, Daniel Blake (2016) est un film déjà radical (pas tant que ça) mais se trouve ici dépassé de loin par Le Père dans la stricte persistance du protagoniste comme sujet politique, tout au long du film, portant sa condition et sa revendication primaire comme un étendard dans un discours à la première personne alliant subtilement singulier et pluriel, général et particulier, envers et contre tout. Bien que les récits choisis par Ken Loach et Srđan Golubović dans leurs films respectifs soient tirés de deux histoires bien réelles à la légitimité indiscutable, il faut néanmoins reconnaître que la représentation du récit du Père apparaît autrement plus pertinente politiquement. La sobriété du titre du film, qui aurait très bien pu s’appeler Nous, prolétaires serbes, est un signifiant minimal du contenu qu’il nomme pour mieux se rendre accessible à un grand nombre toujours dans un topos mélodramatique sans pour autant se complaire dans la stricte individualisation esthétique à la consensuelle manière d’un certain réalisateur britannique. Interrogé sur les indéniables similarités faisant se rejoindre Moi, Daniel Blake et Le Père, Srđan Golubović avoue auprès de Directors Notes (5) : « J’aime beaucoup Ken Loach, mais je suis beaucoup plus influencé par Bresson, avec la simplicité et la sécheresse de son style. Je ne veux pas faire de lui [le protagoniste] un héros, mais un homme ordinaire. Pour moi, moins, c’est toujours plus. » Son style souvent qualifié de naturaliste, Ken Loach n’est que rarement capable de réaliser au présent autrement qu’en exemplifiant des récits de singularités maltraitées dans une accumulation de films manichéens et larmoyants, la nécessité d’opposition réelle et présente à l’ordre établi souvent omise comme pour ne montrer qu’aux intellectuels une réalité qu’ils connaissent déjà (puisque c’est celle d’un système qu’eux-mêmes contribuent à gérer) mais persistent pourtant à aller voir montrée par des films dits « sociaux » ou « engagés » (film de gauche à bon budget cherche public de gauche à bon salaire…) qui ne cessent d’exemplifier des situations concrètes mais finalisée à elles-mêmes avec peu de la radicalité nécessaire à leur juste représentation au cinéma. Parce que Ken Loach peut tout à fait représenter avec intérêt des conditions opprimées et donner très légitimement davantage de visibilité aux personnes qui les vivent (le réalisateur britannique pratique systématiquement l’enquête avant de faire un film sur un sujet précis – le scénario de son film The Navigators a été écrit par un ancien cheminot) mais demeure cependant incapable de ne pas nier comme sujets politiques ses personnages dans un moralisme progressiste empreint d’idéologie humanitaire sans réelle substance oppositionnelle, polémique, offensive et on ne peut plus compatible avec une industrie en quête de légitimité ravie de pouvoir compter sur l’énième film de sa caution contestataire attitrée à tous ses grands festivals. Au détour d’une conversation avec Jean-Gabriel Périot (6), le philosophe Alain Brossat avançait que « Ken Loach est au cinéma ce que Jean-Luc Mélenchon est à la politique – l’espérance maintenue de ces progressistes qui sont prêts à tout pour éviter de se rendre compte que leurs catégories sont sans prises sur notre actualité et qu’il y a urgence à apprendre à penser les choses autrement ».

L’idéalisme n’a plus sa place au cinéma

Si après une brève recherche sur Internet on comprend la polysémie de « mélodrame », c’est ici l’expérience du monde caractérisée par l’oppression faite par le protagoniste qui se substitue avec subtilité, comme martelé plus haut, aux standards nord-américains et dominants dépassés de loin par l’inventivité et la détermination d’un film venu de l’autre côté de l’Europe. Film droit plutôt que cercle, dépourvu de toute musique à l’exception de son générique de fin dans une complète sobriété, c’est précisément parce que Le Père persiste politiquement dans le mélodrame qu’il parvient à hisser la politique comme primat de la sensibilité jusque dans ses instants les plus contemplatifs dans le paysage sauvage de la Serbie contemporaine. Le Père est le portrait déterminé d’une bohème sans eau dans sa bouteille en plastique mais tout droit sortie des idéalités où la culture dominante l’enfermait pour faire feu de tout bois sur le XXIème siècle et ses beaux mots. Mais c’est néanmoins dans ses aspects dits « mystiques » que Le Père se fait le moins clair et, là aussi, le plus fascinant. Se proposant, selon les mots de son réalisateur à Directors Notes, comme « une version balkanique de Paris, Texas : l’histoire d’un homme qui se promène dans un pays magnifique mais complètement détruit et dévasté », une scène retient particulièrement l’attention dans l’ensemble. C’est l’histoire d’un homme et d’un chien… Déposé par la police près d’un village après son arrestation alors qu’il marchait au bord d’une autoroute (délit puni de 5000 dinars qu’il n’a pas), le protagoniste ne remarque pas le chien mais est d’abord remarqué par lui, ce dernier comme fuyant la compagnie d’humains qui l’ignorent, l’animal s’identifiant avec cette solitude dans l’errance. Mouvement en trois plans, le village, une route escarpée puis les abords d’une mine abandonnée. Quand il se met à pleuvoir, le protagoniste trouve refuge sous une station-service désaffectée. Le chien errant au pelage noir le rejoint et s’assoit, trempé et tremblant. Le protagoniste mange son bout de pain. Une voiture passe. Un « pourquoi tu me regardes ? » suivi d’un partage et d’un avertissement : « t’en auras pas plus, je dois en garder ». Échange de regards. La nuit tombe et le protagoniste s’installe pour dormir, le chien se blottit contre lui. 

Andreï Tarkovski avait lui aussi mis en scène le vagabond et le chien noir dans Stalker (1979), grand soupir de désespoir au temps d’abandon de toute croyance et spiritualité, expression d’un désarroi existentiel dans un monde moderne dirigé par les sciences et la rationalité. « La Zone » dans laquelle se réfugie compulsivement l’individu rejeté par la modernité dans Stalker, l’univers au contact duquel sa vie reprend littéralement des couleurs ressemble dorénavant à un mirage nettement dissipé. Les désorientés des sociétés industrielles avancées ne peuvent plus trouver les réponses ailleurs qu’en eux-mêmes, c’est-à-dire en leurs deux mains, à des questions métaphysiques que les classes laborieuses ne se sont rarement posées autrement que dans l’imagination d’intellectuels en manque de spiritualité. Le chien chez Tarkovski, à l’apparition majestueuse mêlée de magie, entre rêve et réalité, n’a que peu de rapport dans sa ressemblance avec le chien chez Golubović : cet être affamé et affaibli qui finit bien réellement écrasé par une voiture, fauché par les flux, comme pour rappeler le protagoniste (nous rappeler ?) à la concrétude d’une réalité de laquelle on ne peut pas s’extraire. La mort du chien achève au petit matin la possibilité de toute évasion réelle, symbolique ou temporaire d’une société humaine dans laquelle il n’est possible que de lutter. C’est la mort d’un chien que l’homme ne parvient même pas à enterrer – la terre est trop dure, l’outil trop fragile, ses forces trop maigres – et se trouve forcé de l’abandonner là sous une bâche de plastique sur le bord d’une route, dans l’épreuve d’un dur rappel à sa « terrestritude ». Dans l’héritage direct de la « Vague noire », la Nouvelle Vague yougoslave, caractérisée dans les années 60 et 70 par sa mise en scène moderne, l’examen critique de la société et l’humour noir, Srđan Golubović représente la séquence, parenthèse sous conditions, dans sa brièveté éclatante et sa claire cohérence à l’ensemble par son issue. La subsistance primat de la contemplation comme la politique primat de la sensibilité. Devrait-on lire là une tentative d’exhortation des cinéastes à la concrétude d’un réveil on ne peut plus opportun ? 

Le protagoniste passe à plusieurs moments clés, sans même la regarder, devant une statue de l’ère soviétique au milieu d’un marché local, célébration anachronique de l’archétype du prolétariat yougoslave dans toute sa splendeur laborieuse. Dans son hors-champ, Le Père semble soulever une question concrète paradoxalement simple : qu’attendre après la chute du Mur exaltée par les diplômés, la fin d’une Union applaudie par les multinationales et la destruction méthodique de la Yougoslavie par les puissances occidentales au nom d’une liberté qui, pour les prolétaires de Serbie, a le goût de pain rassis (7) ? Le Père est assurément le film le plus dialectique qui soit, la plus grande bombe envoyée à la face de la mondialisation néolibérale (et financée par l’Union européenne). C’est par les temps qui courent qu’il apparaît on ne peut plus nécessaire de soutenir une certaine tendance du cinéma international, dans laquelle Srđan Golubović inscrit son film avec clarté, et qui tente d’arracher des parts toujours plus importantes à la superstructure du septième art pour renverser la production cinématographique et la remettre sur ses pieds, pour prendre parti esthétiquement et donc politiquement dans les bouleversements et luttes en train de se faire dans le monde entier.

Antoine Skála

Références :

(1) Jean-Paul Sartre, Plaidoyer pour les intellectuels, éditions Folio, (réédition) 2020.

(2) https://youtu.be/-TlFmosVTLQ?si=88gBA48Wcvxe8gq0

(3) « Nous avons tendance à oublier qu’il n’y a rien de rédimant dans la souffrance : être une victime en bas de l’échelle sociale ne fait pas de vous une sorte de voix privilégiée de la morale et de la justice. » Slavoj Žižek, La nouvelle lutte des classes. Les vraies causes des réfugiés et du terrorisme, éditions Fayard, 2016, p. 105.

(4) « Ce qui caractérise les 1%, c’est qu’ils sont organisés. Ils s’organisent même pour organiser la vie des autres. La vérité de ce slogan est bien cruelle, et c’est que le nombre n’y fait rien : on peut être 99% et parfaitement dominés. À l’inverse, les pillages collectifs de Tottenham démontrent suffisamment que l’on cesse d’être pauvre dès que l’on commence à s’organiser. Il y a une différence considérable entre une masse de pauvres et une masse de pauvres déterminés à agir ensemble. » Comité invisible, À nos amis, La Fabrique éditions, 2014, p. 17.

(5) https://directorsnotes.com/2020/02/28/srdan-golubovic-otac/

(6) Jean-Gabriel Périot et Alain Brossat, Ce que peut le cinéma. Conversations, éditions La Découverte, 2018, p. 21.

(7) Interrogé sur l’ampleur de la corruption dans la Serbie contemporaine dénoncée dans son film, Srđan Golubović confie à Directors Notes : « La corruption est l’un des plus grands problèmes de la société serbe. Ce n’est pas d’hier. Le monde entier s’est écrasé au début des années 90. Tout ce qui nous est arrivé au cours des 30 dernières années est très étrange. Tout le système social et l’empathie entre les gens ont disparu. Ce n’est pas seulement dû à la pauvreté. C’est aussi l’effondrement des institutions, mais aussi l’idée de « croire » aux institutions. C’est ainsi que la corruption a augmenté. La Serbie est une société étrange en ce moment. » L’État serbe persiste depuis 2009, avec le soutien paradoxal de Srđan Golubović, dans sa demande formelle d’adhésion à l’Union européenne, son partenaire commercial le plus important. Après les coups portés à l’appareil productif serbe par les sanctions économiques des Nations unies, des États-Unis et de l’Union européenne en 1992-1995, les dommages causés aux infrastructures et à l’industrie par les raids aériens de l’OTAN en 1999, la perte des marchés de la Yougoslavie récupérés par les multinationales ouest-européennes puis la suppression en règle des droits des travailleurs, les années 2000 marquaient néanmoins pour la Serbie une forte période de croissance économique (6,3% en 2006) au prix de son intégration à la mondialisation néolibérale, ce qui lui valut alors le surnom de « tigre balkanique » en référence aux « tigres » d’Asie de l’Est. Les pays de l’ex-Yougoslavie de l’autre côté de l’Europe et les anciennes colonies à l’autre bout de l’empire apparaissent désormais comme autant de réservoirs de mains d’œuvres corps et âme vendues à un capitalisme mondialisé sensé les nourrir par-delà les frontières. Sur la guerre de Yougoslavie et les formes de l’impérialisme au XXIe siècle, voir Michael Parenti, Tuer une nation. L’assassinat de la Yougoslavie, Éditions Delga, 2014.

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Antoine Skála serait né le 14 juin 2016. Du coin de P'tit Quinquin aux manifs parisiennes, ses interventions méditent l'usage du feu pour dégager les possibles par-delà l'impasse du présent.

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